Il y a un peu plus d'un an, alors qu'on nous étions tous confinés, j'étais dans un tout autre état d'esprit qu'aujourd'hui. Je pensais à la mort soudaine, qui peut nous tomber dessus d'un coup. Vous savez: cette mort soudaine que l'on ne peut ni voir venir ni accueillir. Celle qui résulte d'un accident, ou d'une maladie foudroyante... et qui nous fait l'unique salut du il est déjà trop tard. Ou aussi cette mort dû à un piano qui nous tombe dessus alors que vous traversez la rue. Cette mort aussi, elle existe bien qu'elle soit très bête. Et bien à ce moment là, j'avais eu une idée pour combattre la peur de cette mort.
Même si je n'ai que 24 ans, cette mort peut m'arriver n'importe quand - comme à n'importe qui. Si seulement la mort avait un âge, cela se saurait. N'ayez aucune crainte, aujourd'hui je vie sereinement en pensant moins à ça. Mais il y a un an, j'y pensais beaucoup. Pour remettre les choses dans le contexte: en période de Covid-19 on ne connaissait pas correctement ni le danger ni la viralité du virus et je me demandais ce que deviendrait tous mes projets et mes créations si jamais la chose m'emportait soudainement. Je me demandais aussi quelle serait la trace je lasserais à mon entourage, et comment ils feraient pour vivre sans moi. Ce qui est, quelque part, très égoiste.
Certes, je laisserais à mon échelle une trace écologique et polluante. Mais peut-être que je laisserais des traces symboliques et qu'on ne peut matérialiser. Peut-être des souvenirs composés d'images, de couleurs, de sentiments et de mots. Est-ce que je laisserais assez de souvenirs et de traces à mes proches, le jour où je disparaîtrait ? J'ai envie de me dire que non. A chaque fois que je perd quelqu'un, trop de souvenirs et de questions restent en suspend. A l'échelle de l'humanité, je n'ose pas imaginer les tant de choses qu'on ose pas se dire, entre nous vivants ou entre nous vivants et morts.
Etait-ce si pertinent de me préoccuper de la trace que je pouvais laisser ? Peut-être qu'au fond de moi, je voulais rassurer mon entourage que tout ira bien, et que... tout ira bien sans moi. Après-tout, il se dit que la mort est plus difficile à vivre pour les vivants. De toute manière, la mort n'est pas à vivre à celui (ou celle) qui est emporté(e), car c'est comme un point dans une phrase. C'est une fin. Que nous ayons une religion ou non, cette fin est surtout visible pour celles et ceux pour qui la vie continue.
Comment pouvais-je anticiper ce moment qui me tombera dessus un jour où l'autre ? Comment je pouvais m'y préparer et aider mes prochains au futur deuil à venir ? Ce sont quelques questions que je me posais.
J'avais alors trouvé une solution. J'avais eu l'idée de laisser des petits mots à mon entourage, pour les rassurer, pour résumer ce que je retiens d'eux, telle une surprise et un ultime salut. J'imaginais la réaction de tout le monde: un effet de boum, comme un bouquet final d'un feu d'artifice.
Je m'y étais mis à fond.
J'avais donc développé un petit programme qui devait se débloquer si plusieurs éléments étaient réunis. Il avait donc fallut que je sépare ces éléments. J'avais alors contacté plusieurs personnes au hasard, laissé à chacune d'entre elles un des éléments sans trop en dire. Une fois débloqué, ce programme devait lâcher des mots. Des jours durant, j'ai ensuite pas mal écrit des mots.
Le premier déconfinement a depuis eu lieu. Puis le second. Et j'ai petit à petit oublié cet espace, que j'ai arrêté d'allimenter. Aujourd'hui, alors que la nuit vient tout juste de tomber, je me demande si je ne devrais pas bloquer ce programme à vie, emportant à jamais les mots que j'ai écris.
Avec mon programme, je me préoccupais des personnes a qui j'ai pu faire du mal et a qui je voulais m'excuser, je me préoccupais de ma famille en voulant rassurer chaque membre, et je pensais à tous mes amis. En tout cas, je prenais du temps pour celles et ceux qui comptaient pour moi, même si ce n'était que pour quelques instants ou quelques souvenirs du passé. Quelle énergie j'ai finalement dégagé, au lieu de profiter de la vie ! Je me suis préoccupé de personnes qui ne se souviendrons plus de moi dans quelques années ou que moi, je délaisserais par le temps, ou par l'éloignement, ou par des différences d'idées.
Je sais pourquoi les souvenirs restent en suspend lorsqu'on perd quelqu'un. Je sais pourquoi, au moment de faire se deuil, on regrette de ne pas avoir eu le temps de se dire les choses. Je pense que c'est tout simplement parce que ces mots ne sont rien sans le contexte, le moment, qui les entourent. Que vaut le partage d'un amour à un temps X alors que cet amour sera lu longtemps après ? Sans doute que cet amour aura disparût, au temps Y, et qu'il ne vaudra plus rien. Peut-être qu'il vaudrait mieux laisser ce que j'ai à dire aux moments où ils m'ont traversés la tête.
Aujourd'hui, mon envie est plutôt de tout effacer et supprimer. Je suis apaisé par rapport à la mort, et je crois que je n'ai plus envie de cet effet de bouquet final de feu d'artifice. Je crois que je préferais m'effacer une bonne fois pour toute, lorsque mon histoire sera terminée. Peut-être est-ce ça qui est magique ? De laisser une note en suspend et laisser le deuil se faire. Aussi, il y a des mots que je n'aimerais plus communiquer. Bien trop déçu de certaines fin d'histoires, d'amitiées.
Au revoir, petit journal de souvenirs.